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vivent de la terre durablement

L'homme sage de la forêt

Reportage en Haïti

  • Civil Brisly, de Crose  (Michineau) devant la maquette en trois dimensions (5).jpg
  • DSC_5204.jpg
  • Enfansts et instituteur de l'école de Michineau.jpg
  • Francis David (Michineau) a replanté des arbres dans sa parcelle (4).jpg

Auprès de son arbre, il vit maintenant heureux. Francis David apprécie d'être l'un des heureux bénéficiaires du projet de reboisement de la montagne de Michineau dans le sud-est d'Haïti. A trois heures de piste, au-dessus de Jacmel. Pourtant, au début Francis David était méfiant. Jusqu'à se demander si Florian, l'agronome français qui portait le projet pour AVSF, ne venait récupérer la terre de ses ancêtres. Plus de 200 ans après et toujours dans les têtes ! Peu à peu, en y regardant de plus près, Francis David a compris qu'AVSF ne venait pas récupérer des terres mais au contraire éviter que ses parcelles ne s'érodent au point qu'il ne pourrait plus les cultiver.

Une aide contre un engagement de 10 ans

Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières et CROSE ont proposé aux paysans de les aider à reboiser les parcelles et en échange les bénéficiaires de cette aide s'engagent à ne pas couper leurs arbres avant dix ans et à entretenir le sol. Toujours méfiant, Francis David a laissé passer son tour la première année. Mais il a vu qu'AVSF tenait parole. Que chaque année chaque bénéficiaire recevait effectivement une « compensation » calculée sur ce que pourrait lui rapporter sa parcelle s'il y avait mis par exemple des cultures annuelles (maïs, haricot, petit mil…) et non pas des arbres.

Pour entrer dans le programme de reboisement, Francis David est d'abord allé discuter avec les techniciens et les agronomes d'AVSF autour d'une maquette. Oui, il s'agit bien d'une maquette de  trois mètres sur deux aussi protégée et bichonnée qu'un trésor de la reine d'Angleterre. C'est là devant cette maquette en trois dimensions, représentant très précisément la zone montagneuse de Michineau avec ses parties boisées, ses terres plus ou moins fertiles, arides ou humides, le relief plus ou moins marqué des différentes parcelles, c'est donc là que Francis David a pu repérer où se trouvaient ses terres et voir si elles avaient des chances d'être retenues dans le programme d'AVSF.

Tous les paysans peuvent "lire" cette maquette de leur montagne

Pour ne prendre qu'un exemple, il faut qu'une parcelle ait suffisamment de pente, au moins 50 %,  pour entrer dans le projet (car les terres les plus pentues sont impropres aux activités agricoles). « Cette maquette permet à des paysans illettrés un peu perdus sur une carte classique de bien repérer les lieux de façon sensorielle et tactile. Ils regardent, touchent les versants et se repèrent vite. » commente Aurélie l’assistante technique d'AVSF basée à Jacmel. Les terres de Francis ont été retenues non seulement par les agronomes d'AVSF, mais surtout par le Comité des paysans locaux car ce sont, les paysans, qui prennent la décision finale d'inscrire, ou non, telle ou telle parcelle.

Francis David a même suivi une formation de deux jours pour apprendre à construire des murets de rétention de la terre et a ensuite monté ses murs avec les techniciens d'AVSF et de CROSE, la puissante organisation locale qui regroupe les associations de paysans. Depuis, Francis David est l'un des fervents défenseurs du programme. Mais ne lui demandez pas combien il a de parcelles. C'est top secret, cela ne se dit pas et même.... ne se demande pas ! Il en sourit en expliquant qu'il a hérité et acheté des terres. En revanche, il est plus disert sur les arbres replantés. En fonction du sol et de la pente de ses parcelles, il a choisi des fruitiers qui donneront d'ici quatre à cinq ans. Surtout des manguiers et des bananiers, plus quelques avocatiers.

Organisés, les paysans peuvent discuter et s'entraider

Ce qui lui a plu nous dit-il avant d'aller faire le tour de ses parcelles c'est que Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières ne se soit pas contenté pas de reboiser autour de chez lui mais que l'association aide aussi à la construction de l'école et au développement de l'élevage. « La vie c'est un tout. Si on veut que nos enfants restent ici, il fallait une école et AVSF l'a compris et a financé sa construction. » Et Francis David poursuit devant nous sa réflexion. « La vie, dans notre montagne c'est la forêt bien sûr, mais ce sont aussi les animaux et il faut faire de l'élevage. » Il s'arrête et après un long silence... « La vie, c'est aussi les Hommes et les organisations qui nous représentent. Il faut encourager, aider les mouvements de paysans car on a besoin d'eux. Si on a tous pu se mettre d'accord autour de la maquette, c'est parce qu'il y avait des dirigeants formés qui avaient appris à discuter avec les autres. C'est aussi cela la vie.» Décidément, Francis David est un sage homme.

Dominique Gerbaud, ancien grand reporter et rédacteur en chef de La Croix

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