par Frédéric Apollin
L’UNITE
Encore immatriculée en France (du 9-3), la Mercedes se fraye lentement un passage entre flaques d’eau et trous sur ce bout de piste d’un quartier périphérique de Kayes. La Mercedes, c’est celle de Singalé, ancien migrant et principal porteur, avec l’ONG le Damier Mali, du projet d’appui aux producteurs de fonio.
Les phares s’éteignent. Nous sommes arrivés. La portière s’ouvre et Madame Mariko descend du siège avant. Elle est vêtue d’un grand et magnifique boubou aux couleurs vert anis, terre, et bleu ciel et porte sur sa tête un turban du même tissu délicatement relevé, qui lui donne une allure fière de grande dame bamakoise. A peine arrivée de huit heures de bus depuis la capitale, dépoussiérée et rafraîchie, elle avait insisté pour voir « l’unité ».
Elle est maintenant là, son sac Vuitton à la main, avançant dans cette pénombre du petit soir, lorsque le soleil se couche enfin et que l’air se rafraîchit, dans ce terrain vague poussiéreux d’où surgit une bâtisse en construction aux portes en ferraille peinte en rouge qui battent au vent.
Madame Mariko est actionnaire du Grenier du Paysan. Femme d’entreprise respectée, initiatrice au Mali de la commercialisation du fonio sur les marchés internationaux, elle ne pouvait pas ne pas être associée à cette initiative appuyée par le Damier, ONG malienne, Ethiquable, Coequipa et un groupe de cadres maliens tous responsables d’ONG de Kayes.
« 3 mois » dit-elle d’une voix claire et assurée … « 3 mois pour tout finir ; ne sous-estimez pas les finitions ; elles sont souvent plus longues que la construction des murs …. »
Le verdict est posé. Devant Singalé, quelque peu anxieux de montrer « sa » construction, et Christophe d’Ethiquable, préoccupé de la continuité de son approvisionnement en fonio en France, l’experte de la transformation de fonio a tout dit. Il faudra encore trois mois pour que sans doute fin octobre, les premiers sacs de fonio transformés sortent de cette toute nouvelle unité de transformation.
« Entre-temps, il n’y a pas de problème, je peux vous traiter le fonio à Bamako et vous l’envoyer en Europe … » rajoute-t-elle délicatement d’une voix douce mais sûre.
« Et bien voilà, c’est ce que je voulais vous entendre dire », dit l’entrepreneur équitable soulagé !
Singalé lui n’est pas peu fier. Madame Mariko a l’air contente de sa construction. Bien sûr, elle n’a pas félicité ou laissé paraître un quelconque signe d’enthousiasme. Mais elle n’a surtout rien critiqué. Tout juste a-t-elle souligné sa préoccupation sur les délais supplémentaires pour tout finir : la toiture, la plomberie et surtout la fosse d’évacuation des eaux de lavage du fonio. Même si elle n’a pas prononcé un mot de contentement, la simple allure de cette « vieille » dame discrète mais fière démontre qu’elle a confiance dans cette petite entreprise et son avenir.