À l’occasion de la Journée Internationale du Cacao (1er octobre), les ONG engagées dans l’Initiative Française pour un Cacao Durable (IFCD) tirent la sonnette d’alarme : la France manque d’ambition par rapport à ses voisins européens dans la lutte contre la déforestation, le travail des enfants et l’extrême pauvreté des producteurs.
Alors que la filière cacao traverse une crise mondiale sans précédent – flambée des prix, chute de la production et impacts croissants du changement climatique – une nouvelle étude comparative, commanditée par les ONG de l’IFCD1, révèle que l’initiative française progresse nettement plus lentement que ses homologues en Allemagne, Belgique, Suisse et aux Pays-Bas2.
Ces résultats confirment les conclusions d’une étude récente du bureau d’analyse Le Basic, qui classe le cacao en tête des importations françaises les moins durables, en raison de la déforestation, du travail forcé et de la pauvreté extrême des producteurs3.
Lancée en octobre 2021 avec le soutien du Gouvernement, l’IFCD rassemble pour la première fois en France l’État, l’industrie (via le Syndicat du Chocolat), la distribution (via la Fédération du Commerce et de la Distribution), ainsi que la société civile et la recherche, autour d’un même objectif : un cacao durable d’ici 2030 grâce à 3 engagements clés sur le revenu décent des producteurs du Sud, la déforestation et le travail des enfants4.
Dans ce cadre, les ONG de l’IFCD ont mandaté une étude comparative pour mesurer les progrès des différentes initiatives européennes5.
Quand les autres pays avancent, la France piétine
Moins de 2% des achats de cacao rémunèrent décemment les producteurs, 8% seulement de cacao équitable…
Le constat de cette étude est sans appel : la France est à la traîne alors que les bonnes pratiques de cacao durable progressent ailleurs. Les données les plus récentes (rapports 2024 sur l’année 2023) révèlent des écarts significatifs entre l’IFCD et ses homologues européens :
- Revenu décent des producteurs : L’écart entre le revenu réel et le revenu décent n’a été mesuré que pour 9% des ménages de producteurs concernées par les membres de l’IFCD et seuls 1,8% d’entre eux tirent du cacao un revenu supérieur au seuil de revenu décent. Cela représente un sérieux retard: la Belgique rapporte 12% de producteurs au-dessus du seuil de revenu décent et l’Allemagne 11%.
- Déforestation : seulement 36 % du cacao transformé et fabrique en France est considéré comme “zéro déforestation”, ce qui est encore loin de l’objectif et ce qui est plus inquiétant, la progression reste quasi nulle en un an (+0,4 point seulement).
- Traçabilité : le secteur privé français est dans la moyenne des autres pays européen, avec 49% de traçabilité jusqu’à la parcelle (Pays-Bas atteint 40 % et la Belgique 35%) mais encore très loin de l’objectif de 100% nécessaire pour être en conformité avec le RDUE. Les enseignes de la grande distribution sont particulièrement en retard sur la traçabilité avec aucune preuve jusqu’à la parcelle et un très faible niveau de cacao tracé jusqu’à la ferme (6%).
- Travail des enfants : seulement 11% des cas de travail des enfants identifiés ont été effectivement traités dans la chaîne d’approvisionnement du cacao du secteur privé en France. L’IFCD est en retard en termes d’adoption et déploiement de systèmes de suivi prévention (dits CLMRS6) auprès de tous les foyers de cacaoculteurs avec seulement 32% de ménages dans la chaîne d’approvisionnement directe couverts contre 45 % pour la Belgique et 54 % pour les Pays-Bas.
- Cacao certifié ou vérifié par une démarche interne : les entreprises peuvent avoir recours à des labels et certifications externes (tiers de confiance) ou adopter des règles internes de durabilité qu’elles contrôlent. En combinant ces deux approches, l’Allemagne atteint 100 % de produits destinés à la consommation certifiés ou vérifiés, la Suisse 82 %, et la France seulement 63 %. S’agissant des certifications indépendantes, le commerce équitable ne représente qu’environ 8 % en France (contre 20 % en Allemagne), tandis que Rainforest Alliance couvre près de 50 %.
Sans soutien public l’IFCD, n’avance pas au rythme nécessaire
Les ONGs engagées dans l’initiative française déplorent que l’IFCD ne progresse que trop lentement sur la déforestation, insuffisamment sur la traçabilité et ne sont pas encore au niveau des meilleurs sur le cacao durable et l’impact social (revenu, lutte contre le travail des enfants). Dans l’état actuel, l’initiative ne représente pas un outil efficace de transformation.
Une des clés des avancées des initiatives dites cacao durable en Europe semble bien être le soutien des pouvoirs publics. Or, malgré sa signature en présence des ministres Franck Riester et Bérangère Abba en 2021, l’État français a décidé de se mettre en retrait et refuse à date de participer à la gouvernance de l’initiative. Cela contraste fortement avec le soutien actif que d’autres gouvernements européens accordent à leurs propres initiatives, comme en témoignent les modèles de financement public des autres initiatives7.
Appel des ONGs à un sursaut français
Les ONGs engagées dans l’IFCD constatent ainsi que les acteurs privés de l’initiative restent en décalage par rapport à ses engagements qu’il s’agisse de la réduction des impacts environnementaux et de la lutte contre la déforestation ou de l’amélioration des conditions de vie de familles de planteurs. Ce retard demeure préoccupant dans le cadre du règlement européen sur la déforestation (RDUE) malgré son nouveau report annoncé le 23 septembre.
Dans ce contexte, et même si elles espèrent que les résultats de 2024 démontreront des avancées, les ONGs signataires de l’IFCD lancent un appel aux pouvoirs publics à maintenir une présence forte au sein de l’initiative. Au-delà de son rôle de facilitateur, de modérateur et de garant de l’atteinte des objectifs collectifs, l’État a l’opportunité de s’appuyer sur les discussions et les retours de terrain des parties prenantes de la filière cacao pour penser des politiques publiques adaptées aux défis et leviers identifiés. Une telle implication permettrait de faire de l’initiative un véritable laboratoire d’élaboration de politiques publiques, en complément des engagements du secteur privé, et renforcerait la crédibilité de la France dans la sphère européenne.
« Les producteurs de cacao attendent des engagements concrets, les consommateurs français veulent de la transparence et du respect de l’environnement et de la dignité humaine. Si la France veut être crédible, l’IFCD doit devenir une plateforme d’action, pas seulement de reporting », alertent les ONG.
Les leviers existent : il faut agir maintenant
Les organisations de la société civile proposent trois axes d’action immédiats pour que la France recolle au peloton européen :
- Un sprint traçabilité de 12 mois pour passer de 49 % à 100% de cacao avec une traçabilité complète jusqu’à la parcelle et une conformité totale avec le RDUE.
- 100% de cacao certifié durable en France d’ici 2025-2030 : ceci via les certifications indépendantes, ou au moins via des programmes internes d’entreprise exigeants, transparents et vérifiés de façon indépendante, accompagné d’une trajectoire claire et d’un plan d’actions pour augmenter rapidement la part de producteurs accédant à un revenu décent.
- Un pacte public–privé de transformation : mutualiser financements et expertises pour accompagner efficacement les producteurs, lutter contre le travail des enfants et promouvoir l’agroforesterie.
La Journée internationale du cacao est l’occasion de rappeler que derrière chaque tablette de chocolat se jouent des enjeux de dignité, de justice sociale et de climat. Il est temps que la France prenne sa part de responsabilité.
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Contacts presse
Agence Etycom | Aelya NOIRET | 06 52 03 13 47 | a.noiret@etycom.fr
Max Havelaar France | Jules Montane | 06 61 13 50 51 | j.montane@maxhavelaarfrance.org
AVSF | Aline Abderahman | 06 26 77 10 26 | a.abderahman@avsf.org
- Agronomes et Vétérinaires sans Frontières, Care France, Commerce Équitable France, Max Havelaar France, Nitidae, Rainforest Alliance et WWF. ↩︎
- Les plateformes européennes de durabilité du cacao sont : IFCD en France, GISCO en Allemagne, DISCO aux Pays-Bas, SWISSCO en Suisse, Beyond Chocolate en Belgique. ↩︎
- Cf. Comme un arrière-goût… L’impact des produits agricoles importés ・ BASIC 4 ↩︎
- Cf. Ministère de l’Ecologie – PowerPoint Presentation – Engagements des signataires de l’IFCD en 2021:
– « améliorer le revenu des cacaoculteurs et de leurs familles, afin qu’ils puissent atteindre un revenu décent au plus tard d’ici à 2030 ;
– mettre fin d’ici 2025 aux approvisionnements de l’industrie française du cacao et de ses partenaires issus de zones déforestées après le 1er janvier 2020 ;
– prendre les mesures nécessaires pour lutter et marquer des progrès contre le travail forcé et le travail des enfants dans les régions productrices de cacao d’ici à 2025. » ↩︎ - Basé sur le reporting des années 2022 et 2023, seules disponibles à date. Ce reporting est réalisé sur la base de critères communs aux 5 initiatives. ↩︎
- Systèmes de Suivi et de Remédiation du Travail des Enfants ↩︎
- En Allemagne, l’agence pour le développement assure la gestion de GISCO et le Ministère de la coopération siège au bureau; en Suisse, le Secrétariat d’Etat à l’économie est membre du conseil d’administration ; en Belgique, la Direction de la coopération finance Beyond Chocolate ; au niveau de DISCO, le ministère des Affaires Étrangères occupe un siège au sein du comité de pilotage. ↩︎
Annexe
Concernant le revenu décent, l’objectif français de l’IFCD est moins ambitieux, il vise à améliorer les revenus afin d’atteindre un revenu décent quand les autres plateformes visent la garantie d’un revenu décent pour les cacaoculteurs approvisionnant leur marché d’ici 2030. Le constat est clair, l’impact réel est encore très faible pour atteindre un revenu décent d’ici 2030 pour le secteur français.
À la veille de l’entrée en vigueur du règlement européen contre la déforestation importée, même si les acteurs français semblent dans la moyenne des autres pays, les sous-groupes Industrie et Distribution restent bien en deçà des objectifs signés et des exigences du règlement européen (EUDR) et ne progressent pas.
Malgré un engagement signé par les acteurs français contre le travail des enfants sans dimension contraignante mesurable, il s’agit de « marquer des progrès », lesdits progrès sont faibles. En Allemagne (GISCO), l’objectif des signataires est lui mesurable : une couverture de 100% par l’approche CLMRS d’ici à 2025. L’IFCD est en retard en termes d’adoption et déploiement de systèmes CLMRS auprès des foyers de cacaoculteurs fournissant le France.
Quant au niveau de cacao certifié ou vérifié, les 4 autres plateformes européennes ont un objectif clair d’atteindre entre 95% et 100% du cacao des membres d’ici 2025-2030 grâce aux certifications indépendantes ou aux programmes internes d’entreprise. Alors que DISCO a déjà atteint son objectif (100%) et que les autres plateformes sont en bonne voie, les membres de l’IFCD sont loin de garantir que leurs produits qui contiennent du cacao et sont vendus en France soient alignés avec des standards internes ou externes de durabilité (63%).