One Health, une approche-clé pour faire face aux crises futures

Article paru sur vsf-international.org

Le monde entier est confronté à des défis complexes liés à la propagation rapide du coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2), cause de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Les épidémiologistes et les microbiologistes sont en première ligne pour comprendre d’où vient le virus, comment il s’est adapté à un nouvel hôte (l’Homme) et comment il se propage. Même si, à ce jour, l’incertitude subsiste quant à la source exacte, les preuves actuellement disponibles identifient la chauve-souris Rinolophe en fer à cheval (Rhinolophus affinis) et les pangolins comme des hôtes intermédiaires qui auraient pu faciliter le transfert à l’Homme(1) dans la région de Wuhan, suivi d’une propagation rapide à travers la Chine, l’Europe et le reste du monde.

La possibilité que de nouveaux virus émergent des animaux sauvages ou domestiques est bien connue (c’était le cas par exemple des virus du VIH, de la grippe aviaire hautement pathogène H5N1, de la grippe porcine H1N1, d’Ebola, du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, etc.). La première épidémie de Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) en 2002 a montré l’impact dévastateur que les coronavirus peuvent avoir en termes de perturbations économiques dans les pays touchés, de taux de mortalité et de possibilité de réémergence(2).

Santé humaine, animale et environnementale : trois dimensions interconnectées

Les maladies qui se transmettent entre les animaux et les humains, appelées zoonoses, sont de plus en plus fréquentes, car la distance entre l’Homme et la faune sauvage diminue et les contacts deviennent plus fréquents, du fait de l’intrusion des populations humaines dans les zones naturelles. La demande croissante en matières premières et ressources telles que le bois, les ressources minières/minerais, les hydrocarbures et les terres agricoles (principalement pour la production d’aliments pour le bétail), entraîne une dégradation généralisée des écosystèmes et des perturbations écologiques. L’agriculture intensive ou industrielle est souvent présentée comme la solution pour nourrir la population mondiale croissante, mais elle entraîne une perte globale de biodiversité, la contamination des sols et de l’eau et l’émission de gaz à effet de serre. L’intensification de l’élevage augmente également le risque de transmission de maladies en raison de la proximité d’un grand nombre d’animaux dans des espaces restreints. La déforestation due à l’exploitation forestière, à l’exploitation minière, à la construction de routes et à l’urbanisation rapide entraîne la perturbation des habitats et pousse la faune sauvage à se déplacer et à se mélanger à d’autres espèces animales et aux humains, ce qui accroît le risque de propagation des agents pathogènes zoonotiques(3).

Tous ces changements se produisent à une vitesse anormale et contribuent à raccourcir les distances et à accroître les contacts entre l’homme et la faune sauvage, et donc les éventuels réservoirs de maladies.

One Health, une approche-clé pour faire face à la complexité des crises sanitaires

La pandémie COVID-19 souligne une fois de plus que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes dans lesquels elles existent. Cette interconnexion entre la santé et le bien-être des personnes, des animaux et de l’environnement est connue sous le nom de « One Health » (une seule santé). Le concept One Health(4) a été développé pour répondre à la propagation de maladies infectieuses graves et de zoonoses par une approche intégrée de la santé. Après de nombreux échecs dans le traitement de crises sanitaires complexes, il est apparu clairement que la collaboration entre différents secteurs – impliquant les chercheurs, les laboratoires, les services publics et la société civile – est fondamentale pour s’attaquer à la propagation des maladies sous tous les angles possibles et créer une base solide pour le contrôle des maladies.

Malgré certains efforts pour rendre One Health opérationnel, les systèmes de surveillance et de réponse aux maladies restent souvent cloisonnés entre les communautés scientifiques humaines, vétérinaires et environnementales. Si des collaborations étaient effectivement mises en place, nous serions mieux préparés à répondre rapidement et efficacement aux nouvelles maladies. Les vétérinaires et les écologistes, par exemple, jouent un rôle central dans l’identification des réservoirs de maladies chez les animaux sauvages et domestiques.

Dans les pays du Sud, ces collaborations sont essentielles pour optimiser les ressources disponibles, réduites/limitées, et pour renforcer la santé publique. Le fait qu’en Afrique et en Asie du Sud-Est, plus de 241 millions de personnes tombent malades et 312 000 meurent chaque année de maladies d’origine alimentaire(5)

(dont beaucoup sont directement liées à la consommation d’eau ou d’aliments d’origine animale contaminés) montre clairement qu’il n’y a pas de santé et de sécurité alimentaire sans sécurité sanitaire ni hygiène. Pour résoudre cette simple équation, des efforts conjoints de différents secteurs sont nécessaires : médecins, vétérinaires, microbiologistes, experts en eau, assainissement et hygiène, sociologues, économistes, etc.

Afin de limiter la propagation du SARS-CoV-2, il est essentiel de comprendre que chaque contexte local est unique d’un point de vue socioculturel mais aussi en termes d’infrastructures disponibles ou de conditions de logement. Des millions de personnes n’ont pas accès à l’eau courante (44% des populations urbaines africaines n’ont pas accès à l’eau courante(6), et ce pourcentage augmente radicalement dans les zones rurales) et ne pourront pas respecter les recommandations d’hygiène de base – comme le lavage des mains – qui sont répétées à maintes reprises par les autorités médicales pendant cette crise COVID-19. Les mesures de distanciation sociale sont également difficiles à appliquer lorsque des communautés entières tirent leurs moyens de subsistance de l’économie informelle et vivent dans des espaces confinés. Le confinement est matériellement impossible pour les agriculteurs que, en cette période, préparent les champs pour la saison agricole, et pour les éleveurs pastoraux, qui basent leur survie et celle de leur cheptel sur la mobilité à la recherche des pâturages.

Des solutions et des messages adaptés doivent être élaborés afin de maximiser la capacité des populations à les adopter et à limiter efficacement la propagation du virus. Le rôle des ONG, de la société civile locale et des responsables communautaires qui connaissent bien les contextes locaux est fondamental pour développer des stratégies de prévention adaptées dans les zones mal desservies par les services publics. Là encore, tout cela devrait être fait dans le cadre d’une approche collaborative One Health.
 
Un changement de paradigme

Dans la situation actuelle, One Health s’avère important non seulement comme réponse à une crise sanitaire spécifique, mais aussi comme moyen de repenser les fondements de nos sociétés et de nos systèmes de production. L’examen de la manière dont les systèmes de santé humaine, animale et environnementale peuvent fonctionner ensemble est clairement un élément important pour tirer les leçons de la crise actuelle afin de renforcer notre résilience tout au long de cette pandémie et alors que nous nous préparons à d’autres menaces telles que les futures pandémies et les catastrophes liées au changement climatique.

La situation mondiale causée par le COVID-19 est plus qu’une urgence de santé publique. Il s’agit d’une crise politique, économique et sociale qui aura des répercussions à long terme sur le bien-être économique des populations, sur leurs habitudes et sur le rôle des responsables politiques dans la gestion des urgences mondiales complexes. Alors que nous réfléchissons sur la manière de sortir de cette crise, nous préconisons une remise en question profonde de nos modèles mondiaux de production, de consommation et de commerce, des marchés locaux et internationaux, de l’agriculture et de l’élevage.

Des pratiques agricoles durables telles que l’agroécologie peuvent contribuer à rétablir l’équilibre des écosystèmes en produisant des aliments sains dans le respect de l’environnement, en protégeant la biodiversité, en favorisant des circuits de commercialisation équitables et durables, en soutenant les systèmes alimentaires locaux et en respectant le bien-être des animaux, autant d’éléments qui contribuent au bien-être des humains, des autres êtres vivants et des écosystèmes tout entiers.

En pleine période de confinement, de limitation des mouvements et du transport international, les systèmes alimentaires locaux s’avèrent beaucoup plus résilients que l’agriculture industrielle, dont les chaînes de valeur complexes sont fragmentées et dépendantes du commerce international(7). Les systèmes alimentaires locaux, l’agriculture familiale et les pratiques agroécologiques devraient être fortement soutenus dans le monde entier. À l’échelle mondiale, les petits paysans fournissent 70 % des denrées alimentaires sur les marchés, ce qui constitue un pilier fondamental de la sécurité alimentaire, tout en préservant les zones naturelles et la biodiversité grâce à des pratiques agricoles et d’élevage durables intégrées dans les processus naturels.

Si nous voulons être mieux préparés à faire face à de nouvelles maladies, nous devons adopter le concept « One Health » dans toutes ses nuances : en mettant en place des collaborations entre les communautés humaine, vétérinaire et environnementale, en renforçant la santé publique, mais aussi en changeant radicalement la façon dont nos sociétés et nos économies interagissent avec la nature, en commençant par soutenir les systèmes alimentaires locaux, les petits producteurs et les méthodes de production agroécologiques.

Auteures :
Margherita Gomarasca, coordinatrice du réseau VSF International
Giorgia Angeloni, présidente du réseau VSF International
Dr Manuelle Miller, vétérinaire et chargée de programme d’AVSF

Notes :
(1) Lam, T.T., Shum, M.H., Zhu, H. et al. Identifying SARS-CoV-2 related coronaviruses in Malayan pangolins. Nature (2020). https://doi.org/10.1038/s41586-020-2169-
(2) Vincent C. C. Cheng, Susanna K. P. Lau, Patrick C. Y. Woo, Kwok Yung Yuen (2007) Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus as an Agent of Emerging and Reemerging Infection. Clinical Microbiology Reviews Oct 2007, 20 (4) 660-694; DOI: 10.1128/CMR.00023-07
(3) https://www.theguardian.com/environment/2020/mar/18/tip-of-the-iceberg-is-our-destruction-of-nature-responsible-for-covid-19-aoe
(4) https://www.cdc.gov/onehealth/basics/history/index.html
(5) https://www.who.int/news-room/detail/03-12-2015-who-s-first-ever-global-estimates-of-foodborne-diseases-find-children-under-5-account-for-almost-one-third-of-deaths
(6) https://www.oecd.org/water/GIZ_2018_Access_Study_Part%20I_Synthesis_Report.pdf
(7) https://www.nuevatribuna.es/articulo/sociedad/covid19-coronavirus-pandemia-sistemaalimentario-desabastecimiento-alimentos-cultivos/20200330152535172851.html

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