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Agriculture vivrière & sécurité alimentaire : la parole à Nicolas Bricas

Agriculture vivrière, agriculture de rente, sécurité alimentaire : AVSF a donné la parole à Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation, chercheur au Cirad, UMR MoISA et titulaire de la Chaire Unesco « Alimentations du Monde » 

Pour commencer, pourriez-vous nous dire ce que l’on entend par « agriculture vivrière » ?

À l’époque coloniale, on opposait les « cultures de rente » qui rapportaient un revenu pour payer l’impôt et qui étaient essentiellement des cultures d’exportation (arachide, coton, café, cacao, etc.) aux « cultures vivrières » destinées à nourrir la population majoritairement rurale, surtout en auto-consommation. Une partie limitée de cette production alimentaire était destinée au marché intérieur, les villes étant en partie nourries par des importations alimentaires.

Quelle place occupe l’agriculture “vivrière” dans les pays du Sud ?

Les agricultures des pays du Sud ne se ressemblent pas. Ces pays n’ont pas tous les mêmes potentialités agricoles, ne sont pas urbanisés à un même niveau, sont plus ou moins insérés dans les échanges internationaux.

Dans certains, la production alimentaire pour le marché intérieur domine ; exemples : le Nigeria ou l’Inde. Dans d’autres, elle est partagée avec une production destinée aux marchés internationaux ; exemple : le Brésil ou la Côte d’Ivoire. Dans d’autres encore, elle est très limitée et les pays achètent une grande partie de leur nourriture sur les marchés internationaux ; exemples : les pays du Golfe ou dans une moindre mesure, ceux du Maghreb. En Afrique de l’Ouest et du Centre, le marché alimentaire intérieur représente un débouché beaucoup plus important en valeur économique que le marché international de produits agricoles (à l’exception de la Côte d’Ivoire du fait de sa production de cacao et de café notamment). La grande majorité des pays du monde consomme sa propre production alimentaire.

Peut-on donc encore aujourd’hui opposer agriculture « vivrière » et agriculture « de rente » ?

Aujourd’hui, les systèmes alimentaires ont complètement changé par rapport à l’époque coloniale, et les « cultures vivrières » sont devenues des « cultures de rente ». Céréales, légumineuses, produits animaux, corps gras, légumes, condiments et fruits sont devenus des productions commerciales destinées aux marchés intérieurs, tant ruraux qu’urbains. Ces marchés sont les principaux moteurs du développement agricole. Opposer rente et vivrier n’a plus guère de sens, comme nombre de visions duales qui risquent de caricaturer des situations réelles bien plus complexes et combinées.

Selon le dernier rapport de la FAO, entre 2019 et 2022, 122 millions de personnes supplémentaires ont été touchées par la faim, alors même que le secteur agricole mondial ne cesse de produire plus. Comment explique-t-on cela ?

L’économiste indien Amartya Sen a obtenu le Prix Nobel d’économie notamment pour avoir montré que la faim est plus une question d’accès à la nourriture que de disponibilités. Certes il reste des zones rurales dans lesquelles la production alimentaire est insuffisante pour mettre les habitants à l’abri des disettes, car les revenus non agricoles ou les transferts sociaux ne suffisent pas à compenser les déficits alimentaires. Mais si le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire augmente depuis six ans, c’est surtout parce qu’augmente le nombre de déplacés du fait de conflits et de crises climatiques et surtout du fait de la pauvreté.

Comment soutenir une agriculture capable de nourrir villes et campagnes malgré la croissance démographique ?

Accélérer le développement agricole face à une croissance démographique rapide suppose de créer un environnement favorable pour les agriculteurs : intrants, formation, conseil, crédit, assurance, logistique, débouchés, réglementation, régulation, etc. Un ensemble interrelié d’institutions, un véritable système agricole et alimentaire, pour mettre en œuvre un contrat social : produire plus là où cela est nécessaire, et dans tous les cas produire autrement et de façon durable.

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